LA SARDONNE
Bien que la production de
sardonne ne corresponde
plus de nos jours, et loin s'en faut, a une production de masse, la présence de
celle-ci au cours de la longue histoire de la châtaigneraie ardéchoise aura été
primordiale et peut-être aussi, capitale. Olivier de SERRES, à la fin du 16e
siècle, dans son imposant Théâtre d'Agriculture (page 691 d'une édition
de 1600) n'avait-il pas déjà précise et... immortalise notre sardonne en
écrivant: «De plusieurs espèces de chastaignes franches y a-t-il dont les
meilleures sont les Sardonnes et les Tuscanes... Les Sardonnes sont celles qu'on
appelle a Lion marrons cogneües par toute la France pour le traffique de tel
fruit».
Ainsi depuis la Renaissance,
sardonne est connue
sous le nom de marron de Lyon comme sous celui de marron de Vesseaux
et unanimement appréciée. Ces critères de qualité ont traverse le temps et
ont imprimé une marque indélébile:
sardonne y restera à jamais attachée.
D'autres raisons cette fois plus techniques viennent s'ajouter En effet, les
meilleures variées actuelles disons celles qui se son multipliées tout au long
du 1er siècle jusqu'a nos jours comme comballe, bouche-rouge, bernarde et précoces rondes des Vans
n'ont pu apparaître qu'a partir de la présence
de sardonne avec ce nombreux caractères communs qui les rendent proches
et les unes de autres et de leur fort probable mère respective.
Enfin le nom même de
sardonne ne peut non plus se
dissocier d celui du marron glacé, régal princier et royal de la Cour
de Versailles et de l'Europe entière puisque pratiquement toutes réunies par
des liens de famille. Louis XV dit le Bien Aimé appréciait parait-il
les Marrons glacés même si en forme de remerciements il envoyait d temps a
autre ses redoutables dragons, célèbres par leurs mission bottées dans toute
la Boutière ardéchoise chez ses «sujets» qui osaient pas penser comme lui,
et leurs «ministres» parmi les plus connus celui de Pranles, de Chalencon ou
de Vernoux, a l'échafaud.
Le glaçage artisanal du marron devait passer a un stade
plus industrialise dans les années 1880 à Privas bien sur. Voici l'anecdote célèbre
professeur MAZON dans son Voyage autour de Privas (édition 1882):
«A
propos de châtaignes et de marrons, je me souviens qu'un jour mon ami Barbe
resta fort interloqué devant son petit garçon, un enfant de six ans, qui lui
demandait en quel pays venaient les marrons glaces !
-Petit
sot, répondit-il, ne sais-tu pas que ce sont des Sardones que nos paysans
vendent aux confiseurs de Lyon, de Marseille ou d'ailleurs, et qui nous
reviennent ensuite transformes en marrons glacés ?
-Mais
pourquoi, dit alors l'enfant, ne le faisons pas nous- mêmes ? Nous pourrions en
manger davantage.
Cette
réflexion si juste dans sa simplicité, nous frappa et nous avons vent pense,
depuis lors, qu'il était pour le moins naïf de notre part d'abandonner a
d'autres les profits d'une industrie facile et lucrative, dont la nature nous
avait si libéralement fourni la matière première.
Cette
duperie a heureusement pris fin et, grâce a l'intelligente initiative de
quelques Privadois et notamment des frères Marchier, déjà connus par la
fabrication de poudres pour boissons hygiéniques et de l’habile confiseur
Serardy; le petit Barbe n’aura plus rien a dire.
Depuis
l'année dernière, en effet, les marrons glaces viennent dans l’Ardèche: a
Privas, sinon a Vesseaux et a Saint-Pierreville. La société qui les fait
pousser, s'est, d'ailleurs donné une tache plus générale qui est d’utiliser
et de faire connaître toutes les bonnes choses que l'on récolte dans l'Ardèche...
Car j'avoue que la désignation de marrons de Lyon ! employée pour un produit
essentiellement vivarois, m'a toujours agace, et la société actuelle
n'arriverait-elle qu'a faire rendre gorge aux Lyonnais, , faudrait encore lui en
savoir gré.»
On connaît la suite heureuse de cette initiative
privadoise, en 1885 la maison F AUGIER, SERARDY et Cie assura la continuité
avec succès de la société Anonyme des Marrons Glaces de l'Ardèche dont ils
faisaient ie et dont ils ont garde le titre «Marrons Glaces de l'Ardèche». La
remarque faite par le Professeur MAZON sous son pseudonyme de Dr. FRANCUS a
propos de la désignation des Marrons de Lyon pour un luit «essentiellement
vivarois» est courageuse. Qui est «agace» a l’heure actuelle par une
situation complètement renversée et ce depuis de longues années ? Qui ignore
que le marron glace «de l'Ardèche» s’élabore a partir de fruits non «essentiellement
vivarois» ? Voilà, le plus curieusement et le plus paradoxalement du monde, a
partir du moment ou la production des marrons glaces s'industrialisa, au lieu de
connaître un nouveau développement grâce à ces possibilites nouvelle c'est a
partir de cette époque que les anciens sardonniers ont été
progressivement ou regreffes ou remplaces par des variétés plus productives
comme la bouche-rouge. Irrégularité de production faible niveau général
de productivité, mais surtout différence insuffisante de prix entre bouche-rouge
et sardonne, ont provoque un lent mais inexorable déclin de cette
dernière variété restée unique. Le Professeur MAZON dans le même ouvrage le
confirme «La sardonne tend malheureusement a disparaître de nos
plantations ardéchoises; on la remplace peu a peu par des espèces plus
robustes, plus productives sacrifiant en cela comme c'est l'usage aujourd'hui,
la qualité a la quantité». Décidément il y a des points communs entre les
années 80... sépares d' un siècle !
On la remplaça par des espèces plus robustes: c' est
vrai que l'arbre n'offre une vigueur qu'a peine moyenne sauf dans les terrains
de très bonne qualité, comme le mortain ou les éboulis volcaniques qu'elle
exige. Les producteurs de Montpezat par exemple se souviennent d'un vieux
sardonnier abattu en 56-57 pour le tanin qui avait accuse ses 17 tonnes de
bois... pas particulièrement facile a fendre d'ailleurs a la masse et aux
coins. Ceux de Vesseaux d'un sujet de près de 9 mètres de circonférence a sa
base dénomme «le géant» et qui, avait procuré 10 tonnes de bois. Dans
l'ensemble ma1gré souvent leur grand age, rares sont les arbres qui atteignent
un tel développement et leur taille ne dépasse qu'assez rarement deux mètres
cinquante a trois mètres de circonférence. Comme bien des variés peu
vigoureuses son port sera plutôt étalé, légèrement retombant. Parfois même
une branche maîtresse dessine sur un mètre ou deux presque un angle droit par
rapport a l'axe de l'arbre et ne reprend son inclinaison norma1e qu'ensuite.
L'ensemble des branches et des brindilles terminales présente une densité plus
faible qu'avec comballe par exemple, beaucoup mieux «fournie» comme on
dit, tout autant claires, souples par ailleurs que cette dernière. Son
feuillage en plein été par rapport a l'orgueilleuse bouche-rouge apparaîtra
au premier coup d’œil un peu pâlichon en tout cas d'un vert moins net,
indiscutablement. On le remplaça par des espèces plus productives: a raison
souvent d'un fruit unique par bogue, parfois deux, tout a fait
exceptionnellement trois, avec des années défavorables presque aussi
nombreuses que les années favorables. Sa productivité un peu faible l'aura
beaucoup handicapée.
Pourtant quelle merveille ce fruit de
sardonne, rien
d'autre qu'un emba1lage dore qui laisse fort facilement découvrir de si douces
rondeurs a la chair douce et fondante a souhait. Le haut de gamme, la célèbre
étoile sur le capot de tout amateur d'automobiles... les sommets, même si
comme dans d'autres domaines les véritables connaisseurs ou simplement les
authentiques amateurs ont une fâcheuse tendance à devenir plus rares. Le cœur
aurait-il de moins en moins «ses raisons que la raison ne connaît pas? »
Sardonne est de maturité demi-précoce, même époque
qu'aguyane
a exposition identique, un a deux jours plus tardive p être précis. Les
premiers fruits chutent au sol en basse altitude une année moyenne comme 1981
le 5 octobre. Pour un même arbre le calibre variera de 60 a 80 fruits au
kilogramme. Un triage sevère permettra tout de même d'isoler l'ancienne catégorie
«qualité confisage» a 60-65 fruits au kilogramme, globuleux, a côtés
convexes tant appréciée autrefois pour cette utilisation. Peu abondants, gros,
beaux,. délicieux caractérisent les fruits de sardonne. L' ensemble flatte
mais à juste raison tout y est : le péricarpe clair de décorticage facile,
stries larges soigneusement dessinées brunes, fortement marquées surtout prés
du hile lui minuscule. A l'opposé s'élance une torche longue et gracieuse. De
toutes ces qualités celle encore qui prévaut c’est la super qualité de
cette amande non cloisonnée ou à un si infime
pourcentage, fine, blanche, sucrée a peine entourée d'une deuxième peau.
Cette maturité demi-hâtive expose ses fruits certaines an aux attaques des
vers spécifiques qui déprécient les lots. Sardonne aime les étés ou
le soleil ne joue pas a cache-cache ; dans ce nombreux seront les fruits comme
«non finis». «Ah, que voulez- elle est bien capricieuse cette sardonne !».
Même si l'on ne
dénombre que trois ou quatre générations complètes d'arbre chastanets entre
la fin de l'Empire romain et le Royaume de Saint-Louis, selon le beau dicton,
cher à mon grand-père à savoir «Qu' un châtaignier met cent ans pour venir,
cent ans à produire et cent ans pour partir», je ne me hasarderai pas a
affirmer que notre reine-mère sardonne remonte a quinze siècles.
Pourtant j'
éprouve une grande sollicitude pour ces quelques mots d'Olivier de SERRES
toujours dans son précieux ouvrage mais cette fois dans la partie forestière
ou il indique que les auteurs antiques comme DIASCORIDES, GALIEN avaient «mis
la châtaigne au rang des glands». Elle s'appelait alors gland de Jupiter,
lopimos, ou gland sardienne. Cette dernière appellation me fait
tellement penser à sardonne que je ne pouvais pas ne pas en faire état;
mais j'ai beaucoup de scrupules a ajouter ce simple avis, même et a plus forte
raison prés de trois cents ans après celui du Père de l'Agriculture Française.
Qu'il me pardonne.
Romaine ou
pas, gland sardienne ou pas, sardonne véritable reine-mère de
toutes façons, tu as été et tu es toujours une grande dame. Quoi qu'il arrive
notre mémoire collective ne t'oubliera jamais.